À Paris, on cuit sous les toits / In Paris, we cook under the roofs

Published: July 3, 2025

Alexandre-Reza Kokabi Reporterre

 


 

 

This article was originally published by the Reporterre

 

 


 

 

Lors des vagues de chaleur, les appartements situés au dernier étage des immeubles parisiens, sous les toits, se transforment en fours. Les habitants composent comme ils peuvent face à un bâti inadapté.

 

Elle a passé les dernières canicules en «PLS» (position latérale de sécurité), dit-elle, prostrée dans moins de 12 m2 sous les toits, dans le 18e arrondissement à Paris. Cette fois, Émeline Leblanc a renoncé à ses principes. «Je m’étais promis de ne jamais utiliser de climatisation, mais j’ai fini par acheter un petit modèle mobile. Je suis passée en mode survie.»

 

Depuis 2019, cette propriétaire de 45 ans a tout tenté : travaux d’isolation — réduisant la surface de son appartement —, rideaux thermiques, demandes répétées à sa copropriété pour agir sur la toiture. Sans succès. «Il fait jusqu’à 40 °C en journée, 35 la nuit. La peau brûle, le moindre mouvement épuise. Impossible de manger chaud. On ne dort pas. Les draps collent.» Cette ancienne cadre en reconversion dans la maroquinerie se fait «encore plus de soucis» pour sa voisine, «la petite étudiante qui doit réviser dans ces conditions».

 

Son cas est loin d’être isolé. Chambres de bonne, studios sous les combles, appartements au dernier étage sans ascenseur : à Paris, ces logements deviennent inhabitables l’été. Les toits de zinc absorbent la chaleur, l’air peine à circuler dans la ville dense. La capitale est aujourd’hui, selon la revue The Lancet Planetary Health, la ville européenne la plus meurtrière en cas de canicule : 400 décès sont attribués chaque année aux fortes chaleurs.

 

« Il fait 5 à 10 °C de plus qu’à l’extérieur »

 

Et la situation ne fait qu’empirer. D’après Météo-France, Paris s’est déjà réchauffée de 2,3 °C depuis l’ère préindustrielle. L’étude « Paris face aux changements climatiques » prévoit un réchauffement d’environ 3,8 °C pour la fin de siècle dans un scénario intermédiaire d’émissions en gaz à effet de serre.

 

Depuis 2018, Charles Merlin, alias « Vivre moins con » sur Instagram, vit dans 33 m2 sous les combles, dans le nord-est de Paris. Dans un immeuble ancien, sans ascenseur. « À l’époque, je ne me posais pas la question. Mais les étés sont vite devenus intenables. En montant les six étages, tu sens la température augmenter à chaque palier. »

 

Son appartement, classé G au diagnostic de performance énergétique, est une passoire thermique. Toutes les fenêtres sont du même côté. Le thermomètre grimpe jusqu’à 45 °C. « Il fait 5 à 10 °C de plus qu’à l’extérieur. Je me suis réveillé ce matin en nage, avant même que le réveil ne sonne. »

 

 

Jusqu’à 7 °C de différence suivant la végétalisation du quartier

 

Et quand il pose la main sur le mur côté rue, même quand le soleil se couche, « c’est comme un radiateur ». Cette sensation n’est pas qu’une impression. Les matériaux urbains, comme le béton ou le zinc, absorbent la chaleur pendant la journée et la relâchent lentement la nuit, créant ce que les climatologues appellent des « îlots de chaleur urbains ». À Paris, l’écart peut atteindre 6 à 7 °C entre les quartiers les plus minéralisés et les plus végétalisés. En haut des immeubles, la chaleur reste piégée sous les toits, prolongeant la suffocation bien après le coucher du soleil.

 

Pour travailler, Charles cherche refuge dans une bibliothèque rafraîchie par la société Fraîcheur de Paris, qui l’alimente par un réseau de froid. Las, elle est fermée le lundi. « J’ai dû rentrer chez moi en dégoulinant. » Son ordinateur ne résiste pas mieux : « Il s’est déjà éteint plusieurs fois à cause de la température. »

 

Comme Charles et Émeline, de nombreux habitants — certaines et certains ont répondu à un appel à témoignages de Reporterre — décrivent une sensation de piège. Ces récits racontent une même violence : celle d’être assigné à un espace devenu hostile. Des logements trop petits, mal ventilés, surchauffés, dont les occupants n’ont pas toujours les moyens de partir.

 

 

Entraide entre voisins

 

Célia, étudiante en journalisme de 21 ans, vit dans un 10 m2 sous les toits, au septième étage d’un immeuble du 16ᵉ arrondissement. Faute de garants, faute à la précarité étudiante. « L’année dernière, j’ai fui à Limoges. Cette année, je suis coincée pour mon stage. » Elle rentre le plus tard possible, dort parfois chez une amie. « Hier, il faisait 32 °C, je n’ai pas pu rester. » « Vivre sous les toits à Paris, c’est comme être dans un sauna sans bouton off », résume-t-elle.

 

Dans son immeuble, les voisins du haut s’entraident : on monte les courses des personnes âgées. Mais l’effort devient harassant en pleine chaleur. En bas, la situation est différente : les logements sont plus agréables, et souvent climatisés. Elle se demande comment certains ont pu voter contre la végétalisation de certaines rues du quartier, lors de la votation proposée par la mairie — le vote « contre » était même majoritaire dans le 16e« On vit dans les mêmes immeubles, mais pas dans la même réalité en fonction de nos étages. » Aujourd’hui, elle ne pense qu’à déménager.

 

Stéphanie [1], interne en médecine, a dû déménager son lit de la mezzanine vers le sol du salon. Impossible de respirer là-haut. Avec son compagnon, ils passent parfois leurs soirées dans la baignoire et dorment avec une serviette mouillée sur le corps. « Nous sommes fatigués, irritables et notre vie de couple en est fortement impactée », déplore-t-elle. Le moindre contact physique est proscrit, car trop désagréable sous ces chaleurs.

 

«Je passais mes nuits dans le parc ouvert exceptionnellement»

 

 

Estelle, salariée dans le secteur social, vivait récemment dans une chambre de bonne près d’Auteuil, sans ascenseur ni isolation. « C’était devenu irrespirable. Je passais mes nuits dans le parc Sainte-Périne, ouvert exceptionnellement pendant la canicule. Je restais allongée dans l’herbe, sans vraiment dormir. »

 

Clara, qui vivait sous les combles dans le 5ᵉ arrondissement, se souvient : « La chaleur irradiait des murs, du plafond, du sol. J’ai cru que le ventilateur était cassé. Il n’avait plus d’effet. » Elle a dû en acheter un deuxième pour tenir. « Je me mettais au milieu des deux et n’utilisais plus les plaques de cuisson et le four, qui réchauffaient trop la pièce. Avec ça, j’économisais quelques gouttes de sueur. »

 

À Paris, les logements sous les toits de zinc, qui absorbent la chaleur, deviennent inhabitables l’été. Wikimedia / CC BY 2.0 / besopha

 

Tous ou presque bricolent ainsi : ventilateurs mutliples, serviettes humides, stores, rideaux opaques, vaporisateurs, draps mouillés, fuite vers des tiers-lieux frais… L’adaptation est artisanale. Charles Merlin s’apprête à essayer le blanc de Meudon sur les vitres — ainsi peintes, elles renvoient la chaleur —, et ferme ses rideaux toute la journée, avec des fenêtres entrebâillées à certains moments pour aérer. L’installation de volets lui a été refusée par son propriétaire.

 

Refus des architectes des bâtiments de France

 

Ces refus sont très courants, à Paris, notamment parce que les architectes des bâtiments de France bloquent systématiquement les propositions de peinture des toits, l’installation de volets et l’isolation par l’extérieur.

 

Que faire d’un patrimoine qui empêche l’adaptation ? Les voix qui montent de ces derniers étages racontent une ville en décalage avec son temps. Certains, comme Charles, plaident pour une réforme en profondeur du plan local d’urbanisme. « Est-ce qu’on veut une ville-musée ou une ville pour vivre ? » interroge Émeline. « Il est temps de bouger : végétaliser, peindre en blanc, rénover par le haut. Et se demander pour qui on construit », ajoute Charles.

 

«C’est un enjeu de santé publique»

 

 

Pour lui, l’inaction n’est plus tenable : « C’est un enjeu de santé publique. Il faut que les pouvoirs publics réagissent. » Il appelle à une mobilisation collective : écrire à ses élus, rejoindre des collectifs de locataires. Il a une certitude : « Le critère du confort d’été va devenir central dans le choix d’un logement. Et si les pouvoirs publics ne s’y attaquent pas, on va droit dans le mur. »

 

Inspirée par une étude de la Fondation pour le logement des défavorisésune proposition de loi transpartisane pour éliminer les « bouilloires thermiques » doit être déposée prochainement à l’Assemblée.

 

Elle vise à intégrer la chaleur dans la définition de la précarité énergétique, à interdire les coupures d’électricité pendant les vagues de chaleur, à rendre obligatoire l’affichage du confort d’été dans les diagnostics de performance énergétique et à lever les freins réglementaires pour installer protections solaires ou volets, y compris en secteur patrimonial.

 

En attendant, derrière les toits de carte postale, les vies sont suspendues au thermomètre, plombées par des nuits sans sommeil.