Face aux vagues de chaleur, ces citoyens attaquent l’État / Faced with heatwaves, these citizens are taking the State to court.
Published: June 30, 2025
France
This article was originally published by Reporterre
Alors qu’une nouvelle vague de chaleur enserre la France, quatorze personnes et associations attaquent l’État en justice. Objectif : l’obliger à renforcer ses politiques d’adaptation au changement climatique.
Face au «silence et à l’inaction» du gouvernement, qui n’a jamais répondu à leur interpellation lancée le 8 avril, ces «sinistrés climatiques» ont choisi de passer par la justice. Le 25 juin, quatorze personnes et associations épaulées par l’Affaire du siècle (Greenpeace France, Notre affaire à tous, Oxfam France) vont déposer un recours devant le Conseil d’État.
Le but de cette action inédite dans l’Union européenne, comme indiqué dans un communiqué : «Obliger l’État à renforcer ses politiques d’adaptation au changement climatique.» Les requérants, qui «subissent au quotidien les conséquences d’un État qui ne les protège pas suffisamment» — canicules, inondations, manque d’accès à l’eau… — exigent une révision du troisième plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC-3) dévoilé le 10 mars dernier.
«Le contenu de ce plan est largement insuffisant : il ne protège pas efficacement, ni de façon juste, les populations exposées aux risques climatiques et ne garantit pas un financement à la hauteur des enjeux», écrit l’Affaire du siècle.
Alors qu’une vague de chaleur touche le pays depuis le 19 juin et qu’un «été caniculaire» est prévu par Météo-France, Reporterre donne la parole à trois de ces «citoyen nes sinistré es» déjà confrontés à ce risque climatique.
⋅ Jean-Raoul Plaussu-Monteil

C’est sa femme, enseignante en primaire, qui répond au téléphone depuis leur logement de Villard-Bonnot (Isère) : « Mon mari vient de faire une crise d’épilepsie, rappelez dans quinze minutes s’il vous plaît. » Jean-Raoul Plaussu-Monteil, 46 ans, vit avec cette maladie chronique depuis 1991. Problème : les vagues de chaleur, comme celle touchant actuellement la France, renforcent le risque de faire une crise.
« Par exemple, aujourd’hui, on est montés à 36 °C, raconte-t-il. On joue donc sur les horaires pour aérer la maison, et j’adapte aussi mon hygiène de vie lors de ces périodes-là en soignant mon sommeil ou encore en veillant à m’alimenter suffisamment en eau et en sel. J’évite aussi les prises de risque : en temps normal, je me déplace beaucoup à vélo, mais en situation caniculaire j’y renonce, ce qui complique mes allées et venues car je ne conduis plus. »
« Il y a une forme d’injustice flagrante »
« La canicule de 2003 a été pour moi un déclencheur de mon engagement : mon épilepsie s’est aggravée et j’ai fait un malaise au volant, qui m’a provoqué un accident et une grave fracture », explique cet ingénieur au CNRS qui, pendant trois mois, s’est retrouvé immobilisé. « Il faisait 38 °C et j’étais contraint de rester dans un corset rigide. J’ai alors pris conscience que je vivais concrètement ce que d’autres vivaient par obligation du fait de leur classe sociale ou activité professionnelle », raconte ce père de deux enfants.
« Il y a une forme d’injustice flagrante : ce sont ceux qui sont le moins responsables du réchauffement climatique qui en pâtissent le plus », ajoute ce membre du syndicat Sud-Recherche, de Greenpeace et des Écologistes, avant de prendre un exemple concret : « Une personne SDF qui vit dans son abri de fortune à la périphérie d’une ville, dont l’empreinte carbone est très limitée, va énormément souffrir pendant une canicule. »
En s’engageant dans ce recours avec l’Affaire du siècle, Jean-Raoul, qui a bien conscience que son niveau de vie lui permet de mieux traverser la situation — il vit dans une maison avec jardin près d’une forêt —, souhaite ainsi « que l’État tienne enfin ses engagements en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi qu’il renforce le PNACC, pour l’heure très lacunaire ».
⋅ Salma Chaoui

Même si cela fait six mois qu’elle n’habite plus dans cet appartement du 19e arrondissement de Paris, Salma Chaoui pense très fort à sa mère et à ses petits frères qui vivent encore dans ce logement recouvert de moisissures à cause d’une isolation insuffisante. « Il faut très souvent nettoyer les murs, mais ça finit toujours par revenir », explique cette femme de 23 ans, qui réside désormais aux Lilas (Seine-Saint-Denis) avec son compagnon.
Cette étudiante en économie se souvient aussi des hivers très froids et des étés très chauds dans cet HLM, où elle faisait régulièrement des crises d’angoisse et des insomnies la nuit. Sensibilisée tôt à l’écologie mais aussi aux inégalités sociales — sa mère, en situation de handicap, est en formation pour essayer de retrouver un travail —, Salma a pris contact avec l’association Ghett’up afin d’obtenir de l’aide.
« Le sentiment de mener un combat contre un géant »
« Depuis notre arrivée dans cet appart en 2018, on se sentait impuissantes, avec le sentiment de mener un combat contre un géant », raconte celle qui, avec sa famille, a engagé une action en justice contre leur bailleur Paris Habitat.
En participant au recours de l’Affaire du siècle, cette passionnée de dessin et de sport espère en outre que « l’injustice climatique soit vraiment prise en compte dans l’adaptation au changement climatique » : « Dans les quartiers populaires, on vit déjà des inégalités. Et, avec le changement climatique, cela devient insoutenable. »
⋅ Jean-Jacques Bartholome :

« Si je fais ce recours, ce n’est pas pour moi, mais pour nos enfants et pour toutes les personnes précaires et/ou en situation de handicap : je veux montrer que l’on existe. » Lui-même en fauteuil roulant depuis sa naissance, Jean-Jacques Bartholome, 68 ans, est habitué à devoir lutter pour faire respecter ses droits : cet ex-agent d’accueil au sein d’un Établissement et service d’accompagnement par le travail s’était déjà fait connaître en 2023 en menant une action au siège de son bailleur social.
Locataire d’un HLM à Grenoble (Isère) depuis 1982, Jean-Jacques, qui vit seul, ne pouvait pas fermer ses volets lui-même — ces derniers étant mécaniques — ni accéder à son balcon avec son fauteuil pour prendre l’air le soir. De quoi rendre sa vie difficile en cas de vague de chaleur, ce qui fut le cas en 2023 : « Avant cette année-là, j’étais au travail la journée, donc je pouvais profiter de la clim’. Mais quand je suis arrivée à la retraite, cela devenait extrêmement compliqué de passer toute la journée chez moi avec ces températures. »
«Vivre dans le noir, ça va cinq minutes!»
À défaut qu’on lui installe une douche à la place de sa baignoire, ce père d’une fille de 43 ans a également été contraint pendant des années de se laver à son lavabo. « Des travaux ont été faits il y a un an et demi pour régler ces problèmes, mais l’appartement reste mal isolé et les vagues de chaleur se multiplient. Hier, il faisait 38 °C, et je dois laisser les volets fermés pour ne pas avoir trop chaud. Or vivre dans le noir, ça va cinq minutes ! » lance cet homme plein d’humour, membre du collectif HandiCitoyens et du syndicat d’habitants Locataires Ensemble.
Et d’ajouter, révolté par le sort réservé aux plus précaires : « Ce sont les personnes les plus pauvres qui sont le plus touchées par le changement climatique et par les dégâts naturels. Il est urgent que l’État prenne soin de ses citoyens. »